samedi 18 juillet 2015

L'ultra talon race

Deux semaines après mon remorquage sur la Pierra Menta, je raccroche le dossard pour l'ultra sky race, 95km pour 6000m+. Aujourd'hui remorquage interdit mais entre temps j'ai (re-re-re)commencé un traitement de fer et rattrapé pas mal de sommeil. Avec un peu de chance, je vais réussir à tourner moi-même les gambettes. Au pire ce sera une belle balade!


Réveil samedi à 2h30 du mat' pour un départ à 4h: les joies inénarrables du trail! Nous sommes un peu moins de 300 au départ et comme toujours, je trouve que ça part un peu vite. Peu importe, je pars à mon rythme, je sais que ça va être long cette histoire. En amuse bouche le premier 3000m du jour, le Chaberton, avec une ascension dans un mélange de rocailles et neige glacée (il a grêlé la veille). Au sommet, nous sommes trois féminines à quelques minutes l'une de l'autre avec Delphine Roux devant moi et Aline Grimaud juste derrière. J'ai la bonne idée de lever les yeux de mes chaussures et c'est magnifique: le jour se lève sur une myriade de sommets baignés dans une couleur bleu-orangée. Ouah! La descente qui suit est raide et glissante (pente+glace+cailloux=attention traileur). Je me lâche en essayant de ne pas trop réfléchir aux conséquences d'une éventuelle chute. Et par un pur hasard, je ne chute pas, ce qui est assez rare pour être mentionné! Nouvelle bosse jusqu'au col des Désertes. Je double Delphine peu après, elle semble moins à l'aise en descente. On fait une courte incursion italienne par un chemin en balcon qui ressemble en fait plus à un enchevêtrement de cailloux qu'à un sentier. On avale peu de dénivelé mais courir est impossible (du moins pour moi). Pas grave, je marche et profite de la vue magnifique. Bon c'est sûr, faut aimer le minéral! Il n'y a pas beaucoup de vert à l'horizon!

Cyril m'attend peu avant le col de l'Echelle pour me faire l'assistance. En réalité il devait m'attendre 1km plus tôt (l'assistance est autorisée sur toute la portion de route) mais après avoir pesté contre un camping car qui n'avançait pas en montée, s'être perdu, avoir doublé comme un fou et roulé à 80km/h sur un route limitée à 50, il vient tout juste d'arriver. Une bonne suée froide pour lui comme pour moi. Comme quoi l'assistance aussi c'est du sport! On poursuit par le vallon des Thures où j'avance plutôt bien. Le sentier longe une rivière et ça tombe bien, je suis assoiffée. J'ai déjà fini mes bidons et je m'arrête plusieurs fois pour les remplir dans la rivière. Je ne m'en rends pas compte à ce moment mais il fait chaud et je transpire plus que d'habitude. La triste conséquence s'en fera sentir peu après: dans la descente vers la vallée étroite, je commence à sentir la peau qui colle sous la talon. Je sais ce que c'est et c'est n'est pas bon du tout! Un arrêt au bord du chemin me le confirme: une énorme ampoule est en train de se former sous mon talon droit. Pour l'instant il n'y a que le rond blanc, un beau rond qui prend toute la largeur du talon mais il reste plus de 50km et je sais que cela ne va pas s'arrêter là!

Jusqu'ici tout va bien. Photo: organisation


Au ravito des granges de la vallée étroite, je demande des soins à la sécurité civile. Après maintes réflexions ("mais comment s'ouvre cette trousse? c'est quoi dans ce flacon?" ...) on me verse du désinfectant sur le talon et c'est tout! Oui du désinfectant sur une peau saine puisque l'ampoule n'est pas encore percée! Et bien 5min pour ça! Il n'y avait peut-être rien à faire, je ne sais pas, mais je repars passablement blasée d'avoir perdu des minutes pour rien, et encore plus inquiète de la suite. Pour ne rien arranger, ce qui m'attend est une des grosses difficultés du jour: la montée au thabor. Le début de l'ascension se fait sur une piste large, pas spécialement sympa et empruntée par de nombreux groupes de marcheurs. Alors qu'on avait été seuls au monde jusque là, je double bien une trentaine de personnes en qq km. Je croise même plusieurs 4x4 et quads dans un nuage de poussière et de gaz d'échappement. Vive le bon air de la nature! Heureusement, tout ce remue-ménage s'arrête à la maison des chamois alors qu'on bifurque à gauche sur un single. Tout d'un coup je me sens mieux, je respire mieux! Dans la longue montée l'ampoule sous le talon se fait de plus en plus sentir mais je garde un bon pas, à vrai dire je ne pense pas que ça me ralentisse. La fin de l'ascension est très rocailleuse (pour changer). Je m'efforce à chaque pas de mettre mon talon bien à plat pour limiter la douleur (le pire est le dévers). Je suis bien plus à l'affut de ma foulée que de la vue, pourtant au sommet je laisse échapper un poétique "putain c'est beau": il y a  des falaises et du rocher à perte de vue, c'est sauvage à souhait.

Je sais que ce qui suit va être très délicat: 25km de descente dans laquelle il va falloir absolument gérer le talon. En fait les premiers km dans un pierrier sont fatals à mon ampoule chérie: bye-bye la peau du talon, l'ampoule éclate. Mieux que la perte des eaux d'une femme enceinte! J'arrive au chalet Laval en ayant vraiment mal. Finir les 35km comme ça me semble même impossible. Cyril m'attend au ravito. J'enlève les chaussures pour constater ce que je savais déjà: le talon est à vif. L'épaisseur de peau qui est partie est impressionnante: qui veut un steak pour la barbecue? Cyril part demander de l'aide à l'assistance civile. Je n'y crois pas du tout vue mon expérience passée et pourtant je tombe sur une fée: d'une efficacité redoutable, en qq minutes elle me pose compresses et bandages sur toute la plante du pied. Je repars en ayant toujours mal mais c'est bien plus supportable. Suivent 15km de faux plat descendant où théoriquement je devrais pouvoir courir tout le temps. Mon talon m'en empêche mais je fais de mon mieux ("allez Juliette tu cours, tu comptes jusque 30 et tu peux marcher quelques pas"). Je me fais doubler par 5-6 coureurs qui doivent aller deux fois plus vite que moi. Ces 15km me semblent interminables à cause du talon mais aussi parce que, même si la vallée de Névache est jolie, je préfère habituellement les sentiers en hauteur, loin de la route. J'atteins cahin-caha Plampinet, dernier ravito où Cyril m'attend. Je bois juste quelques gorgées et repars. Je préfère ne pas avoir le temps de cogiter sur le talon.

Aïe j'ai mal. Photo: organisation


Dernière ascension vers la tête de Fournéous. Le début n'est pas exceptionnel: on remonte une piste aux lacets qui n'en finissent pas jusqu'aux chalets des Acles où l'on était déjà passé ce matin. Mais la suite à travers le ravin de l'Opon est vraiment très belle. C'est très sauvage et on se croirait presque seuls au monde. Je marche/cours avec Vincent Chabanne puis Manu Denis. J'ai de plus en plus mal. A la marche en montée cela ne me ralentit pas vraiment mais les relances sont de plus en plus difficiles. Alors qu'on s'approche d'un col, Manu me demande pleins d'espoir "tu crois que c'est ça la tête de Fournéous?" mais le bénévole qui s'y trouve a vite fait de doucher nos espoirs "ah non, ça c'est le col de Dormillouse, ensuite il faut descendre, remonter au col de la Lauze puis suivre toutes les crêtes jusqu'à la tête de Fournéous." J'entends Manu soupirer "oh putain et ben on n'est pas couchés!". Effectivement, cette dernière partie trèèès longue, bien que très belle. En plus l'orage gronde sur le massif juste à côté et c'est quand même flippant d'en être si exposés sur les crêtes. Je suis vraiment soulagée, autant pour l'orage que pour le talon, lorsqu'enfin j'atteins la tête de Fournéous. Tellement contente d'entendre le bénévole me dire "bravo, maintenant il suffit de descendre" que je le prend dans mes bras et lui fais la bise! La descente en fait sera longue et douloureuse. C'est un soulagement lorsqu'enfin j'arrive à Montgenèvre et franchis la ligne, 1ère femme, 10/131 scratch (8%).

Soulagement à l'arrivée! Photo: Rachel Bontaz
 

Merci aux organisateurs de nous avoir fait vivre ça, ce fut une très belle course, très exigeante, sauvage. J'ai pris beaucoup de plaisir même si la douleur au talon m'a gâchée la 2ème partie de course. Un énorme merci à la fée du refuge Laval sans qui je n'aurais clairement jamais pu finir la course. Et comme toujours un grand merci aux nombreux bénévoles sans qui tout cela ne pourrait avoir lieu.

dimanche 5 juillet 2015

Les pierres de la Pierr'

Lorsque j'entends parler pour la première fois de la Pierra Menta d'été, un simple coup d'oeil au parcours suffit à me convaincre: sauvage et engagé, il a tout pour me plaire ce trail! Et puis le concept est original puisque la course s'effectue sur trois jours et en duo: à la différence d'un relais, les deux équipiers (ou équipières en l'occurrence) doivent rester ensemble sur tout le parcours. Mon équipière est Mélanie Rousset avec qui j'ai sympathisé sur différents trails, dont récemment la diag et la maxi-race.

Etape 1: 



28km, pas de quoi m'impressionner outre mesure normalement, mais le D+ de 2550m est important pour cette distance. Une chose est sûre: nous n'aurons pas beaucoup de plat (ce qui n'est pas pour me déplaire). Nous sommes un peu moins de 200 équipes sur la ligne de départ de cette première étape. Le parcours commence en douceur par 2km roulant avant la 1ère ascension avec plus de 1000m+ jusque Roche Plane. Je comprends rapidement que je suis loin d'être au mieux de ma forme. J'ai l'impression d'avoir une barre de fer dans chaque cuisse et des parpaings à la place des pieds. Je souffle comme un boeuf, sue à grosses gouttes (certes il fait déjà chaud), tout ça pour avancer moins vite que lors d'un off. Je donne tout ce que je peux mais aujourd'hui je ne peux pas beaucoup! Mélanie m'encourage, me dit de boire, me propose à manger. Je me connais et je sens malheureusement que ce n'est pas un gel qui va me refaire une santé. La fatigue est plus profonde que ça. Dans les montées la différence entre nous est impressionnante: alors que je suis à la limite du rouge, Mélanie sautille comme un cabri, facile comme Emile. A un moment bucolique, je me dis même que pour s'occuper, elle devrait peut-être nous cueillir des fleurs!



Roche Plane puis le Mirantin, Grande journée: le parcours est magnifique et j'essaie d'en profiter quand même un peu. Certes, il faut aimer la caillasse et courir avec les mains!



Il y a une bonne ambiance avec à chaque sommet beaucoup de spectateurs pour nous encourager. Mélanie est une locale depuis quelques mois et nous montons au rythme (lent) des "allez Mélanie". Pointe de la Grande combe, dernier sommet du jour, puis descente finale sur Arêches. Nous finissons 5h08, 3ème équipe femme (à plus de 20' des 2ème...), 22/147 (15%) au scratch de cette 1ère étape. J'ai tout donné pour un résultat pas terrible. Bon, il va falloir récupérer pour la suite si je veux tenir. Heureusement que Mélanie me dégote un petit coin idyllique (une sorte de terrain vague) pour une sieste express qui s'apparente presque à un coma.

Etape 2: 



Une étape plus courte que la veille, 24km, mais qui s'annonce encore plus technique avec plusieurs passages de crêtes où longes et baudriers sont obligatoires. Au vu de ma prestation de la veille, on a décidé d'emporter l'élastique (en l'occurrence une suspente de parapente, merci p'tit lu) pour équilibrer les forces et fatiguer un peu Mélanie. Mélanie me dit "on le sortira que s'il y en a besoin, d'ailleurs si ça se trouve c'est toi qui va devoir me tirer", ça me fait sourire. D'ailleurs il ne nous faut pas longtemps pour nous apercevoir qu'il va nous être utile: 10' à peine après le départ, alors qu'on est encore sur une partie bitumée en pente douce, on accroche la trottinette à l'avion. Ca me donne un rythme régulier sur les parties roulantes et ça allège mon pas (lourd) sur les pentes plus raides.

Au départ de l'arête du Mont Rogneux commence un original trail ferrata: on se décroche l'une de l'autre pour se vacher à la longe posée pour l'occasion par l'orga. A partir de là ce sera plus d'1h de crêtes magnifiques où courir est impossible et doubler difficile mais où je ne cesse de me dire "putain c'est énorme ce qu'ils nous font faire", le tout avec un grand sourire (certes fatigué)!



La descente qui suit l'antécime du Grand Mont est d'anthologie. Il nous faut traverser plusieurs névés sur lesquels, vu la pente, rester debout est impossible et la glissade inévitable. Il faut bien gérer sa trajectoire pour éviter les rochers, se servant de ses pieds et mains comme gouvernail. Je m'en sors avec quelques brulures mais sans blessure, pas mécontente de voir la fin du dernier névé!

Dernière difficulté avec l'ascension du Grand Mont. On a remis l'élastique et ça tire devant! Quelle pêche ce p'tit bout d'femme!



Dernière crête, dernière longe, puis descente finale à travers les cailloux (pour changer). On a en ligne de mire la 2ème équipe féminine qui est juste quelques minutes devant. A ce moment on se dit que c'est peut-être jouable de les rattraper.


Le temps d'un court arrêt au stand pour remplir les flasks et les deux gazelles qui nous précèdent ont complètement disparu de nos radars. On fait une bonne descente mais sans jamais plus les revoir. On franchit la ligne en 4h29, 3ème femme (du mieux: à 4' des 2ème), 17/135 au scratch (13%).

Etape 3: 



La dernière et la plus courte des trois étapes, a priori la plus roulante aussi avec comme seule difficulté l'ascension de la Roche Pastire par un couloir que tous nous annoncent comme très (très très) raide. Lorsque le départ est donné je suis impressionnée par la vitesse à laquelle tout le monde démarre. Certes, je ne vais peut-être pas vite mais j'ai l'impression qu'il ont tous pris comme tactique "partir vite et accélérer"! Pour nous (moi) c'est plutôt partir comme je peux et essayer de gérer! On ne met pas longtemps à raccrocher l'élastique. Mélanie est surmotivée, elle tire autant qu'elle peut. Je suis déçue pour elle de ne pas pouvoir faire mieux mais je fais mon maximum avec les capacités du moment. En bas du couloir de la roche Pastire, je lève la tête pour voir le couloir qui nous attend: im-pre-ssio-nnant! Mélanie est en pleine forme. Pour plus d'efficacité, elle attrape l'élastique de la main gauche et tire avec le bras en même temps qu'elle avance. Effet garanti! Il m'arrive dans cette montée d'avoir les pieds qui touchent par terre mais pas souvent!


Montée vers la Roche Pastire, c'est raide! Photo: organisation

Au sommet il y a une ambiance du tonnerre et la vue que l'on découvre est magique avec le lac de Roselend en contrebas et le Mont Blanc en ligne de mire. Sur toutes les crêtes qui suivent je me dis que quand même cette course est formidable, tellement unique, tellement belle. Je suis presque déçue d'aborder la descente finale, j'aurais bien refais un petit tour de manège!



On arrive à se perdre à 20m de l'arrivée (!), petit retour en arrière, puis on franchit la ligne pour une dernière fois en 2h57, 3ème femme, 31/134 (23%, aïe). Ainsi s'achève notre 1ère Pierra Menta. Merci aux organisateurs de nous avoir fait vivre ça, c'est vraiment une course extraordinaire. Merci à Endurance Mag pour le beau cadeau (vous aviez raison de miser sur les girls!). Et un grand grand grand merci à Mel(astique) pour la bonne ambiance, les fous-rire et le remorquage du poids lourd! :)