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La stratégie aujourd'hui est un peu différente des autres années. Car j'ai déjà fini 3 fois l'UTMB et à chaque fois je trouve que je pioche sur les 50 derniers km. Aujourd'hui l'objectif sera d'arriver relativement fraiche à Champex, quitte à un peu plus temporiser avant. Je sais que si je suis bien pour les 3 dernières bosses, je peux reprendre plus de temps que je n'en aurai perdu avant.
Avec les copains du team du départ. Photo: Rémi Fabregue |
Sur la ligne de départ, l'ambiance est chaque année un peu plus grandiose. Ludo et co hurlent au micro, des milliers de spectateurs font le clapping islandais, la musique de Vangelis retentit. Que d'émotions! J'en ai la chaire de poule. On pourra dire ce que l'on veut sur la politique expansionniste de l'UTMB et co, ce départ mérite d'être vécu!
Top départ. Je stresse toujours un peu sur les premiers mètres suite à ma désaventure de 2017 mais tout se passe bien et 100m plus loin je peux souffler un grand coup. UTMB 2019, c'est parti! Je sais que les 35 premiers km sont roulants et monotones. Il faut tenir dans la tête car ce début n'est pas très fun. Mis à part la montée au col de Voza avec une jolie vue sur les aiguilles de Bionnassay, presque tout se court en forêt. Vivement Notre Dame de la Gorge que la montagne commence vraiment.
Aux Houches j'ai la surprise de voir mes beaux-parents, Robert et Nicole, descendu du chnord pour me voir courir. C'est super sympa de les voir là surtout qu'ils ne m'avaient rien dit les cachotiers! Ils sont accompagnés de Cyril, mais ça ce n'est pas une surprise (mais toujours un plaisir ;)). Un peu plus tard les rejoindra mon frère venu de Toulouse. L'UTMB, c'est des émotions, de la sueur, et aussi il faut le dire une bonne dose de carbone...
Après une vingtaine de km de course on m'annonce quelque chose comme 25ème femme. Ah ouais carrément! C'est parti très vite devant, comme tous les ans mais c'est encore plus flagrant cette année. Néanmoins je trouve que je suis dans mon rythme avec de bonnes jambes donc je ne m'inquiète pas. Je me dis que tôt ou tard ça va craquer devant.
A Saint Gervais, l'ambiance est hallucinante. Il faut presque se faufiler un passage parmi les spectateurs. Le tour de France ne fait pas mieux! Il y a des centaines de mains d'enfants à taper. Une ambiance incroyable! Aux Contamines, je suis un peu en retard sur mes temps de 2018 mais pas d'inquiétude puisque j'avais dit que je voulais temporiser.
Ah voilà enfin Notre Dame. Je souffle un grand coup. C'est parti pour une très belle portion très alpine de 70km jusqu'au Grand Col Ferret avec, pour ouvrir les hostilités, 1300+ jusqu'au col du bonhomme. J'apprécie énormément cette 1ère nuit. Il fait bon, le ciel est étoilé, sans un nuage à l'horizon. Je me retourne plusieurs fois pour voir la farandole de lumières derrière moi. Des km de loupiotes, long filament d'or au milieu des montagnes (instant poésie).
Photo: Rémi Fabregue |
Aux Chapieux, j'ai la surprise de retrouver Mathieu et Maud qui m'encouragent. Je leur dit que c'est parti vite devant mais que je me sens bien. Maud me dit "fais ta course, il n'y a que toi pour savoir à quel rythme tu peux aller". Cette phrase résonnera souvent dans ma tête les prochaines heures. Car contrairement à ce que je pensais, ça ne craque pas devant, du moins pas encore. Je continue sur le rythme que je pense correcte pour les gambettes, sans me soucier du classement. On verra bien à Champex.
A Courmayeur, je retrouve les deux hommes de ma vie, en la personne mon frère et Cyril. Je me ravitaille bien, change de chaussettes et chaussures, échange la NAO contre un bindi plus légère puisque le jour va se lever. Je suis 22ème femme mais je repars sereine.
Petit dej purée-lentilles sous les yeux de Cyril. Photo: Rémi Fabregue |
La montée aux balcons du val Ferret est raide mais arrivée là haut: Houah! C'est le 4ème fois que je passe ici mais c'est peut-être la plus belle. La lumière au petit jour est magnifique. Il n'y a pas un nuage, le ciel est bleu azur. Les 20 prochains km offrent une vue imprenable sur les glaciers (ou ce qu'il en reste) du Mont Blanc côté italien. C'est roulant et il faut constamment relancer, ce n'est pas le terrain sur lequel j'excelle le plus, néanmoins ça passe presque vite tellement je trouve ça beau.
Je baisse un peu de régime dans la montée au Grand Col Ferret mais rien d'alarmant pour l'instant. Néanmoins je commence à avoir mal à la tête. C'est la première fois que ça m'arrive en course. Altitude ou déshydratation? Je penche pour la 2ème. Je me dis qu'il faut que je me force à boire plus. C'est vrai qu'il a fait chaud depuis le départ, j'ai pas mal transpiré, ce qui est très inhabituel pour moi et je n'ai pas pensé à m'hydrater plus que les autres années.
Arrivée au somment, je sais qu'à partir d'ici il va falloir serrer les dents. M'attend la partie que je redoute le plus. Sans difficulté aucune mais d'une grande monotonie: 20km de descente, en partie sur de gros chemins ou de la la route, surtout après la Fouly. J'ai toujours eu du mal à courir lorsque je ne m'amuse pas. Il ne faut plus réfléchir pour arriver le plus vite possible en bas. Surtout qu'à temporiser sur cette première partie de course, j'ai un peu grillé mes jokers, il ne faudrait pas que je perde trop de temps ici.
A mi-descente, je suis contente de trouver le ravito de la Fouly pour remplir mes flasques qui sont vides depuis quelque temps. J'ai de plus en plus mal à la tête. La chaleur augmente, je transpire. Au ravito est projetée une vidéo d'encouragement hilarante de la famille Nini battant des pieds. Elle tourne en boucle pendant que je me ravitaille. Tous les bénévoles sont morts de rire et moi avec.
Je repars juste devant Elisabet, une concurrente islandaise, qui me rejoint peu après. On fait toute la descente jusque Issert ensemble. On papote un peu, c'est plus motivant ainsi. Je me dis que c'est chouette d'être avec quelqu'un, ça me permet de garder un bon rythme. Seule, il est clair que j'aurais un peu plus marché.
Pourtant, je sens bien que quelque chose commence à dérailler. D'abord ma tête tambourine à chaque pas. Il est vrai qu'il fait très chaud et qu'on vient de faire plusieurs km de route. Entre les chocs et le goudron noir qui réverbère la chaleur, mon mal de crane augmente. Mais surtout je me sens de plus en plus faible, comme vidée. En fait je suis cuite au sens propre comme au figuré. Alors qu'on aborde la montée vers Champex, je dis à Elisabet d'y aller car je ne me sens pas bien. J'ai toutes les peines du monde à faire les 500m+. Plusieurs filles me doublent. Je me sens faible, nauséeuse, avec la tête qui tourne et tambourine.
En pleine forme à Champex! Photo: mon frère |
J'arrive au ravito de Champex dans un état pitoyable. C'est impressionnant de voir comme tout est parti en cacahouète en l'espace de 45'! Un vrai coup de bambou! Je dis à Cyril et mon frère que je ne vais pas bien, je me sens très faible et je ne me vois pas finir. Cyril insiste pour que j'essaie de me ravitailler. Ils me motivent en me disant que je suis au pied du top 10. C'est gentil mais vu mon état, si j'arrive à finir ce sera déjà bien.
Je repars en me disant que j'essaie la prochaine bosse et on verra à Trient si je continue ou non. Trop faible pour courir, je marche ou plutôt je marchote. Je cogite beaucoup: j'arrête à Trient ou j'arrête pas? Mon esprit oscille entre les deux décisions. Tout de suite, oui, j'ai envie d'arrêter. Il n'y a aucun plaisir à souffrir pour souffrir et j'ai toujours dit que je courais pour le plaisir. Seulement je sais pertinemment que si j'abandonne, je vais m'en vouloir demain. Ne vaut-il pas mieux peiner 12h (le temps qu'il me faudra pour rejoindre l'arrivée) que de ressasser ça des semaines, des mois? Car c'est un peu facile d'abandonner dès qu'on n'atteint pas son objectif. Ce n'est pas l'état d'esprit que je prone. Dans la balance pèse aussi le fait que je participe à l'étude médicale de Chaire ActiFS et je sais qu'ils ont besoin de sujets féminins à l'arrivée. Enfin cette année je suis marraine de coeur de la Fondation des Maladies Rares. Qu'est ce que 12h de galère, toute relative en plus, quand certains sont malades toute leur vie? A mettre les pour et les contre dans la balance, il n'y a pas photo, ma décision est prise: puisque j'arrive encore à avancer et que je ne me mets pas en danger, je vais le finir ce foutu UTMB. En marchant, certes, mais je vais finir. A partir de là, je passe dans une autre dimension: mon objectif était de finir avec un bon chrono, il est maintenant de finir quel que soit le chrono. Je me sens mentalement libérée d'un poids. Malheureusement ce n'est que mental puisque les gambettes sont à chaque pas un peu plus lourdes. Je suis vidée, mon corps est en ébullition.
Rafraichissement à Trient. Photo: mon frère |
C'est ainsi que j'arrive à Trient. J'y retrouve mon frère et Cyril, accompagnés de Ram et d'Ingo qui me fait la surprise d'être ici. Ingo, c'est mon collègue suisse que je n'ai pas vu depuis 6-7 ans. Eh ben j'aurais aimé le voir dans un meilleur état! Je leur apprends que je vais finir en marchant et leur demande de ne plus me suivre. Vu mon chrono, je n'ai plus besoin d'assistance, qu'ils aillent s'amuser ailleurs. Evidemment ils refusent. Grrr personne ne m'obéit dans cette foutue famille! :)
Bon an, mal an, j'arrive à Vallorcine, non sans un bon craquage mental sur le début de la descente de Catogne qui est une looongue piste forestière descendante d'une monotonie rare, d'autant plus que je n'arrive pas à la courir.. Le chemin vers le col de Montets est, au vu de la forme du jour, très agréable car sans difficulté. Allez, il ne me reste plus qu'une bosse, ça devrait le faire! En fait, je n'avais pas imaginé à quel point la montée vers la Tête aux Vents serait dure. J'ai de plus en plus la nausée. Je m'arrête tous les 5 pas. Je le sais car je compte pour ne pas m'arrêter avant! Allez 1, 2, 3, 4, 5, stop! Les batons me sont bien utiles, pour monter d'abord mais aussi pour ne pas tomber lorsque je m'arrête car je titube! J'aurais eu cet état avant, j'aurais peut-être abandonné parce que franchement là ça devient limite. Je rencontre Mel et Reinhold dans la montée. Ils proposent de faire un bout avec moi. Je refuse, non pas pour le règlement (à ce moment côté chrono je ne suis pas à une pénalité près) mais parce que j'ai besoin d'aller à mon rythme de tortue liquéfiée.
Après un temps infini voire plus, j'arrive à la Tête aux Vents. La traversée vers la Flégère est une énorme bavante. Il faut sauter ou enjamber de gros rochers. Ca tape dans ma tête et je n'ai plus de force. Moi qui ne pleure que très rarement, je suis au bord des larmes. Des larmes de "y en a marre". Ca fait 10h que je marche sans plaisir, ça commence à me peser! Je me surprends à penser des choses comme: "Si je vois les Poletti, je leur fait bouffer leurs cailloux". "C'est quoi cette foutue fierté Blanchet mal placée, qu'est ce que tu fous là, il fallait arrêter" etc etc.
A la Flégère, mon Dieu, mon sauveur est là, en la personne de mon frère. Il a fait 1000m+ avec une entorse, juste pour m'encourager. Si ça c'est pas le plus merveilleux des grands frères du monde!!! Le voir me redonne clairement un bon coup de boost. Je me surprends à réussir à courir toute la descente et même le plat final, alors que j'étais aux bord des larmes juste avant. Comme quoi le moral!!
Je franchis la ligne après 31h06 de course dont les 12 dernières à marcher! C'est 50% de plus que prévu sur cette portion. Je suis 17ème femme, 144/1556 (9% scratch). Je suis extrêmement contente d'avoir fini. D'abord parce que cela met un terme à cette bavante!! Ensuite parce qu'il y a une certaine fierté à ne pas avoir lâché le bout de gras. Oh ça a été dur, oh ça n'a pas toujours été rigolo mais je l'ai fait et ce n'est pas si anodin que ça.
Le sourire à l'arrivée! Photo: team vibram |
Evidemment après coup, il y a quand même de la déception. Je ne m'étais jamais aussi bien préparée. Comment ai-je fait pour tout gâcher? Je pense qu'il y a eu un gros coup de chaud, voire une insolation. J'aurais pu, j'aurais du, mieux gérer la journée du samedi. En buvant plus, en me mettant la tête dans les fontaines, en portant une casquette fermée plutôt qu'une visière. Mon problème a été je pense de ne pas être assez concentrée sur moi. A force de me dire "tranquille, tu temporises et tu remonteras à Champex", je pense que je n'étais mentalement pas dans la course, pas assez à l'écoute de moi et de l'extérieur. Il y a donc eu une défaillance physique indéniable et évitable. Néanmoins il y a aussi eu une défaillance morale. J'ai déjà eu des coups de moins bien sur l'UTMB, des difficultés à manger, des hypos, et je me suis toujours battue pour les dépasser. Là, j'ai quand même l'impression d'avoir lâché un peu vite dans la tête. C'est plus facile de se battre quand on est dans le top 5 que quand on est 12ème. Je m'en veux que le classement ait eu une influence car j'aime à dire que je fais mon max et que le classement est indépendant de moi. Mais là quand même, il faut l'avouer, les attentes UTMB ont été plus fortes que moi.
Je reviendrai sur l'UTMB pour prendre ma revanche sur moi-même, c'est sûr. Néanmoins je ressens aussi le besoin de faire une pause UTMB. 4 départs en 4 ans, c'est beaucoup. Il me manque la niaque des premières fois. Ca reviendra, et vite, mais une pause s'impose! Je serai peut-être à Cham l'an prochain mais très probablement sur un autre format. A suivre!
Un énorme merci aux milliers de personnes qui nous ont encouragés, aux centaines de bénévoles pour leurs gentilles attentions. Merci aussi aux organisateurs de nous faire vivre ça parce que, quoi qu'il arrive l'UTMB, c'est quand même de sacrés émotions!. Un coeur-avec-les-doigts pour mon frère, Cyril, mes beaux-parents, Ram, Ingo, le team Vibram et tant d'autres! Merci à mes partenaires pour leur soutien même si ça ne marche pas à tous les coups. Merci à la Chaire ActiFS pour les sprints d'après-course et les contractions maximales mais surtout pour leur bienveillance, leur gentillesse, et leurs M&m's!! Merci et bravo à Anne-So pour l'accueil des coureurs solidaires de la Fondation des Maladies Rares. Courir pour une cause plutôt qu'un chrono, ça a quand même sacrément plus de sens! Tout ça fait réfléchir! ...